Podcasts

Dans le cadre des Rencontres photographiques du 10e, l’Union des Photographes Professionnels est allée à la découverte de nos lauréat·es à travers des podcasts. 

Les entretiens sont menés par Arnaud Février, administrateur de l’UPP.

Rencontre avec Oleñka Carrasco et Anthony Voisin

Ces deux séries ont des points communs: la disparition d’un père et la résilience à travers la pratique artistique. Nous écoutons ces deux artistes échanger autour de leurs travaux et de cette thématique.

 

 

Oleñka Carrasco 

« On ne meurt pas de la même façon partout dans le monde. Pouvons-nous imaginer ce que c’est de mourir, et la procédure administrative qui s’ensuit, dans un pays où les morts sont si nombreux que les cimetières ne sont pas terminés à temps pour les accueillir ? Ce pays, c’est le Venezuela. 

Le 9 juin 2020, j’ai reçu un appel vidéo. Mon père mourait au Venezuela, mon pays d’origine, après des années à chercher des médicaments pour traiter son asthme chronique. La dernière fois que je l’ai vu, c’était aussi mon dernier voyage au pays, en 2015.  Comment vivre sa mort en étant exilée et confinée, à des milliers de kilomètres, dans une maison d’enfance qui n’est pas la mienne ? J’ai décidé de raconter cette expérience violente et douloureuse : construire un deuil loin de toute ma famille et de mon pays natal. »

Maison prêtée pour un deuil, Oleñka Carrasco © Adagp, Paris, 2020

 

 

Anthony Voisin

« À sa mort, mon père, Maxime Voisin, nous a légué des boîtes. 229 boîtes exactement (et autres contenants – portes-documents, chemises, bannettes, etc…), ni cachées à notre vue ni totalement offertes à notre regard. Y reposaient des documents, des photos, des objets, aussi inutiles qu’essentiels, aussi anecdotiques qu’universels, aussi désuets qu’immémoriaux. 

Une encyclopédie de la petite histoire, entre les années 1930 et 2000. Une existence mise en boîtes, regroupant environ 30 000 documents, 1 800 objets, et quelques ébauches de collections éparses. Pour rendre plus lisible à mon propre entendement un héritage aussi chargé, j’ai décidé de les ouvrir pour en exhumer les reliques et les donner à voir. À cet agrégat obsessionnel, j’ai répondu par une accumulation photographique »

Rencontre avec Rebecca Topakian

« Née en France et d’origine arménienne, je suis devenue arménienne progressivement à l’âge adulte. Allant jusqu’à vivre partiellement à Erevan, y acheter un appartement et obtenir la nationalité. Passeports, jeux de clés, téléphones, portefeuilles, langues, alphabets : autant d’indices doubles sur qui je suis, mais qui ne font que brouiller un peu plus les pistes…

Dans cette série d’autoportraits décalés, je me transforme en possible Rebecca. Déguisée de bric et de broc, la Rebecca n’apparaît jamais totalement à sa place, jamais vraiment à l’aise. Autre piste d’enquête : l’algorithme des publicités Instagram, qui devrait mathématiquement me définir, et qui échoue pourtant systématiquement. Suis-je une immigrante illégale en France, une réfugiée sans papiers en Arménie, une patriote arménienne qui devrait s’armer ? »

Double Nationalité , Rebecca Topakian © Adagp, Paris, 2022

Rencontre avec Souleymane Bachir Diaw, Julien Bonnaire et Antoinette Giret

Souleymane Bachir Diaw

« Le mot wolof « sutura » désigne une forme de discrétion, celle qui sauve les apparences. Il s’applique à tout le monde. Le masculin m’est toujours apparu comme une contradiction, un entre-deux impossible, entre une façade rigide et un cœur flou. Le vêtement semble révéler cette inaccessibilité du masculin. Là où j’ai grandi et ailleurs, c’est un moyen de s’annoncer et de se représenter. Cependant, le vêtement masculin ne semble pas refléter de nuances sensibles. Je les recrée donc en le mettant en scène avec des corps et des objets. Leur polyvalence est la trame de mon travail. En oubliant de rappeler la force et la virilité, le vêtement prend de plus en plus de place. Il finit par s’animer, s’exprimer. »a

 

Julien Bonnaire & Antoinette Giret

Dans l’imaginaire d’Antoinette Giret et de Julien Bonnaire, les lucioles sont des êtres persécutés et oubliés qui tentent, malgré tout, de scintiller sous les projecteurs d’un pouvoir oppresseur et inégalitaire. Le manque de figures queers visibles aux Antilles empêche la compréhension d’un désir et d’un sentiment amoureux qui n’est pas hétéronormé et donc, limite la construction d’une identité queer à part entière. En prenant en compte l’histoire coloniale, le duo d’artistes souhaite donner ici un espace pour briller à celleux dont la liberté et les droits sont remis en question, les illégitimes, les anormaux, les queers. Dans cette série où genres et identités se confondent, les regards se posent sur la lueur des lucioles martiniquaises, mêlant intersectionnalité et insularité, pour créer une unité dans la pluralité de l’amour.

Rencontre avec Juliette Alhmah

La notion de disparition est depuis toujours au cœur des problématiques existentielles de l’être humain, et c’est d’ailleurs de ce désir originel de conserver un souvenir de l’être aimé·e ou perdu·e qu’est née la photographie. Ultime outil de mémoire, la photographie se présente comme un rempart face à la disparition ou la perte, un pont entre les mort·es et les vivant·es.

Salted love est une série de portraits uniques tirés grâce à la technique du papier salé, qui disparaîtront irrémédiablement au cours de leur exposition, questionnant ainsi la fixité du médium photographique et indirectement celle de la mémoire. Quel souvenir, quelle image garde-t-on de l’être perdu·e ? Dans notre société saturée d’images, comment appréhende-t-on l’idée d’une photographie qui disparaît? À travers ce processus, Juliette Alhmah interroge symboliquement le deuil et la douloureuse expérience de la rupture amoureuse.

Rencontre avec Bastien Deschamps et Adrien Selbert

Ces deux séries explorent la même zone géographique : les Balkans.

 

Bastien Deschamps

Le fleuve Evros sépare la Grèce de la Turquie. Depuis plusieurs millénaires, cette région frontalière est un carrefour culturel, le point de rencontre entre Orient et Occident. Elle est à nouveau aujourd’hui à la croisée des chemins, car c’est l’une des principales portes d’entrée pour les migrants essayant de rejoindre l’Europe. Ils sont chaque année des milliers à tenter la traversée dans l’espoir d’un avenir meilleur. Parfois au prix de leur propre vie.

La série Evros, est une exploration géopoétique de cette région et de ce drame. Dans le contexte politique européen actuel, à l’heure où s’érigent des murs de toute part, où les États se replient de plus en plus en brandissant leur identité nationale, où la montée du populisme atteint des sommets, il semble plus que nécessaire de ramener la part humaine au centre du débat sur l’immigration.

 

Adrien Selbert

Un pays peut-il perdre connaissance ? Ici, ce n’est plus la guerre, mais ce n’est pas encore véritablement la paix. C’est cet entre-temps qu’on appelle l’après-guerre. Ce moment particulier, à l’image du tiret entre ces deux mots, et dont personne ne connaît véritablement la longueur. C’est précisément cet espace incertain qu’Adrien Selbert est venu photographier. 

25 ans après la fin du conflit en Bosnie, Les Bords Réels est un état du temps, plus qu’un état des lieux. Le pays a réglé ses comptes avec l’espace – les frontières intérieures qui ont mis fin à la guerre – mais l’enjeu semble être désormais la cohabitation des temps, les morts et les vivants, les vétérans du conflit, les bosniaques, les serbes, les croates et la jeunesse née dans ses décombres. Chacun semble errer encore dans sa propre époque et ses croyances. En somnambule.